Dirigeants d’entreprise : attention lors de la cession de votre société ! (De l’impact de la réforme du droit des contrats sur le droit des sociétés)

La réforme du droit des contrats avait été annoncée il y a plus de dix ans, l’objectif étant de moderniser le droit français afin qu’il soit plus attractif pour les acteurs économiques et qu’il garantisse davantage de sécurité juridique.

L’ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, est enfin entrée en vigueur la 1 octobre 2016.

Dans cet objectif de modernisation, elle vient, tout comme le droit de la consommation et le droit commercial avant elle, protéger la partie faible au contrat. Cette protection est consacrée par l’introduction d’une obligation précontractuelle d’information d’ordre public qui a une incidence non négligeable sur le droit des affaires notamment dans les opérations de cessions de droits sociaux.

  • L’obligation précontractuelle d’information : une notion sujette à interprétations

L’article 1112-1 alinéa 1 du Code civil nouveau prévoit que

« Celle des parties qui connait une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».

Ce texte permet de s’assurer que lorsque deux parties entrent en négociation dans le but de conclure un contrat, la partie qui a le moins d’informations puisse contracter en toute connaissance de cause. Cependant et heureusement, il ne s’agit pas d’un devoir général d’information. En effet, les alinéas suivants précisent et limitent cette obligation.

Ainsi, il est bien entendu nécessaire que le débiteur de cette obligation ait connaissance de l’information. Dans le cas contraire il ne pourrait être responsable d’une omission.

Par ailleurs, ces informations doivent être déterminantes pour le consentement de l’autre partie. Cette notion est précisée par l’alinéa 3 dudit article puisque ces informations doivent avoir « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ». Toutefois, reste à déterminer si l’appréciation de ce caractère déterminant est objective (pour le commun des acquéreurs) ou subjective (information déterminante pour la partie en l’espèce).

Malgré quelques incertitudes, cette obligation se voit explicitement limitée puisque nous pouvons nous réjouir du contenu de l’alinéa 2 prévoyant qu’elle ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. De plus le terme de « légitimement » de l’alinéa 1 semble imposer au contractant ne détenant pas les informations un devoir de se renseigner.

S’agissant du régime de la preuve, l’alinéa 4 fait peser sur le créancier de l’obligation la charge de rapporter la preuve qu’une information lui était due. Le débiteur devra donc être vigilant et se pré constituer la preuve, tout au long des négociations, selon laquelle les informations ont bien été fournies.

Ainsi, s’il en a la preuve, le créancier pourra choisir d’engager la responsabilité délictuelle de son cocontractant ou d’obtenir l’annulation du contrat sur le fondement de la réticence dolosive.

  • L’obligation précontractuelle d’information : un outil de négociation

L’obligation précontractuelle d’information a une incidence sur toutes les différentes étapes des cessions de droits sociaux.

Ainsi durant les négociations, les vendeurs devront être vigilants et rigoureux dans l’échange d’informations. En pratique, il est courant d’effectuer des opérations de « due diligence » pour permettre aux candidats acquéreurs d’avoir à leur disposition, par le biais de « data room », toutes les informations nécessaires, qu’elles soient opérationnelles ou financières, pour que leur consentement ne soit pas vicié.

En outre, cette disposition vient conforter la technique de la data room exonératoire. Celle-ci consiste, pour le vendeur, à exiger en contrepartie, que toutes les informations révélées et les risques qui en découlent ne puissent faire l’objet d’une mise en œuvre des garanties du vendeur dans le contrat.

Le devoir d’information influence également la rédaction des clauses du contrat d’acquisition. C’est tout d’abord  le préambule qui est le lieu adéquat pour rappeler les éléments essentiels qui ont conduit les parties à contracter. Ainsi, si l’une ou l’autre des parties omet de communiquer une de ces informations, l’article 1112-1 du Code civil nouveau pourra être mis en œuvre.

Par ailleurs, l’acquéreur étant le principal bénéficiaire de cette obligation, il pourra (tenter de) demander au vendeur de déclarer qu’il a bien rempli son devoir d’information par une clause du contrat telle que la clause de « full disclosure ». Elle consiste pour le vendeur, à indiquer que ses déclarations et garanties ne comportent aucune inexactitude ou omission significative qui empêcherait l’acquéreur de réaliser l’opération. Malgré cela, ce type de clause reste difficilement imposable au vendeur.

Le vendeur, quant à lui, a tout intérêt à s’assurer qu’il a rempli ce devoir en exigeant de l’acquéreur qu’il déclare que toutes les informations déterminantes lui ont été communiquées, et qu’il est conscient des risques liés à celles-ci et à l’opération plus globalement.

Par conséquent, l’article 1112-1 du Code civil nouveau est amené à devenir un réel levier de négociation dans la rédaction des contrats de cessions de droits sociaux.

Ce dispositif devrait également jouer un rôle dans le contentieux post acquisition car il permet à l’acquéreur de ne pas voir la responsabilité du vendeur limitée par des conditions de seuils, de franchise ou de plafonnement qui sont généralement prévues dans les garanties d’actif et de passif. De plus, l’usage de ces garanties conventionnelles se voit fragilisé. En effet, l’article 1112-1 étant d’ordre public, le vendeur ne pourra plus limiter son obligation par une disposition de la garantie.

Désormais, en cas de conflit, demeure une incertitude sur la pratique des traditionnelles garanties conventionnelles. Toutefois, l’acquéreur pourra faire jouer la responsabilité délictuelle de l’article 1112-1 ou encore soulever une nullité pour dol, dont la preuve pourrait être facilitée par cette nouvelle obligation.

Le vendeur diligent, quant à lui, tirera également profit de cette disposition en actant en amont la bonne exécution de son devoir d’information. PB