RETOUR SUR CINQ ANNEES DE TRAVAUX CONCERNANT LES VEHICULES AUTONOMES (Colloque relatif aux « véhicules autonomes à la recherche d’un cadre juridique » Mulhouse – 20 février 2020)

Le Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (CERDACC), rattaché à l’université Haute-Alsace, a organisé le 20 février 2020 un passionnant colloque intitulé « les véhicules autonomes à la recherche d’un cadre juridique », en partenariat avec l’Institut de Recherche en Informatique, Mathématiques, Automatique et Signal (IRIMAS). Il convient de souligner la grande qualité de ce colloque et de remercier l’ensemble des organisateurs (particulièrement Monsieur Eric DESFOUGERES) et intervenants.

 

Ce séminaire de restitution des travaux accomplis depuis cinq années a mis en perspective de nombreuses problématiques concernant les projets et l’évolution des véhicules autonomes en France.

 

La question de la définition du « véhicule autonome » est le point d’ancrage nécessaire à tout développement.

Ainsi, les intervenants ont envisagé toutes les dimensions de transports pouvant correspondre à la catégorie de « véhicule autonome ».

 

Les questions relatives au degré d’autonomie, à la fiabilité technologique, aux responsabilités (le « véhicule autonome », quel que soit son degré d’autonomie, n’est pas sans faille), à la dimension éthique, et à la réaction des usagers, ont été abordées tant pour les véhicules terrestres à moteur, que pour les navires ou aéronefs.

 

Toute nouvelle avancée technologique suppose une réflexion sur son encadrement juridique, l’encadrement juridique étant la pierre angulaire de toute nouvelle avancée technologique.

Le passionnant colloque de Mulhouse a permis de mettre en lumière des réflexions sur la législation existante en matières pénale et civile, ainsi que la nécessité d’élaborer une nouvelle législation autonome.

 

Il s’agit d’élaborer un régime précis tant pour les véhicules terrestres à moteur (I), que pour les autres moyens de mobilité (II).

 

I. L’encadrement juridique des véhicules autonomes : le cas des véhicules terrestres à moteur

 

D’un point de vue juridique, certains textes réglementent précisément la responsabilité des usagers de véhicules terrestres à moteur (« VTM »). Face à l’autonomisation de certains véhicules, des révisions et adaptations sont nécessaires.

 

A) La législation pénale

Si le code pénal et le code de la route s’appliquent en matière de circulation des VTM, certaines spécificités juridiques sont apportées du fait de l’autonomisation des véhicules.

 

D’un point de vue pécuniaire, le titulaire du certificat d’immatriculation de la voiture autonome sera responsable.

 

Les intervenants ont souligné une problématique essentielle : qui est pénalement responsable du véhicule autonome ?

 

La responsabilité pénale est gouvernée par le principe de responsabilité personnelle. Elle est énoncée à l’article 121-1 du code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. ».

En outre, en droit pénal, contrairement au droit civil, la responsabilité du fait des choses n’existe pas.

 

Or le véhicule autonome a pour finalité d’agir à la place de l’individu.

De la même manière que pour de nombreux autres systèmes autonomes et/ou utilisant des systèmes embarqués, le lien est difficile à établir avec la personne présente dans l’habitacle.

 

Le législateur s’est saisi de la question par deux lois.

 

La première, la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE », élargit le champ de l’expérimentation des véhicules autonomes. Il en résulte :

  • la responsabilité pénale du titulaire de l’autorisation d’expérimentation,
  • l’irresponsabilité pénale du conducteur. La loi PACTE décharge effectivement de toute responsabilité pénale le conducteur qui agit dans le cadre de la délégation de conduite.

Ces règles s’expliquent par l’expérimentation. Pour autant cela n’empêche pas d’engager la responsabilité de toute autre personne ayant concouru à la réalisation du dommage.

 

La seconde, la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019, dite « LOM », réforme en profondeur le cadre général des politiques de mobilités, en intégrant les enjeux environnementaux et en autorisant le gouvernement à légiférer dans un délai de 24 mois sur la question de la responsabilité pénale.

 

Le chantier législatif en matière de responsabilité pénale est donc en cours, auquel s’ajoute celui de la responsabilité civile.

 

B) La législation civile

A la suite de la célèbre affaire « Jand’heur », arrêt rendu le 13 février 1930 par la Cour de cassation, le principe général de la responsabilité du fait des choses a été reconnu.

 

La loi du 5 juillet 1985 a adapté le régime de la responsabilité attachée aux accidents de la circulation.

 

Ainsi, la question de la responsabilité civile dans un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur n’est plus en suspens.

 

Par conséquent, l’interrogation fondamentale est de savoir si ce régime issu de la loi de 1985 s’applique aux véhicules autonomes.

 

Le 1er article de la loi de 1985 définit le domaine d’application à tout « véhicule terrestre à moteur ».

Un véhicule autonome s’avère être effectivement un véhicule terrestre à moteur. Ainsi, à l’aune de cet article, les véhicules autonomes entrent dans le champ d’application de la loi de 1985.

 

Par ailleurs, le projet de réforme de la responsabilité civile engagé depuis 2016 est resté silencieux sur les véhicules autonomes et l’intelligence artificielle. Néanmoins, la loi d’orientation des mobilités de 2019 précitée autorise le gouvernement à légiférer pour adapter le régime de responsabilité civile à la circulation des véhicules autonomes.

 

Par conséquent, il existe des projets de refonte de la responsabilité civile qui ont vocation à mieux prendre en compte les véhicules autonomes. La loi de 1985 semble tout de même pouvoir offrir des solutions aux accidents qui impliquent des véhicules autonomes, sous réserve que les conditions d’application soient remplies, c’est-à-dire l’implication du véhicule terrestre à moteur dans l’accident et l’imputabilité du dommage à l’accident.

 

La question de l’adaptation de la réglementation ne s’arrête pas aux seuls véhicules terrestres à moteur.

 

L’évolution des transports autonomes concerne également les aéronefs et les navires.

 

II. L’encadrement juridique d’autres véhicules autonomes

A) Les aéronefs sans personne à bord (ou « drones » civils)

Communément appelés « drones », les aéronefs sans personne à bord sont considérés comme des véhicules autonomes et soumis au code de l’aviation civile (qui est intégré en grande partie dans le code des transports).

 

Pour autant, le concept d’autonomie des « drones » dans la réglementation est discutable. La plupart des drones de dernière génération sont faussement appelés autonomes, alors qu’ils sont seulement automatisés.

 

L’arrêté du 17 décembre 2015 relatif à leur conception prévoit trois paliers d’autonomie des drones civils, mais d’autres paliers sont en discussion.

 

En effet, plusieurs travaux internationaux, dont ceux en cours dans le groupe JARUS (Joint Authorities for Rulemaking on Unmanned Systems), cherchent à définir les niveaux progressifs d’autonomie des opérations de drones.

 

Ainsi, six niveaux ont été récemment définis par le groupe JARUS pour caractériser les niveaux d’autonomie de ces opérations sur des drones :

 

  • Niveau 0 : pilotage manuel (aucune autonomie),
  • Niveau 1 : nécessite une assistance,
  • Niveau 2 : permet la réduction des tâches,
  • Niveau 3 : automatisation sous surveillance,
  • Niveau 4 : simple intervention si nécessaire (notamment en cas d’urgence),
  • Niveau 5 : drone autonome.

 

Outre l’autonomisation des drones, la question de la réglementation applicable est primordiale. Ainsi l’Agence Européenne de la Sécurité Aérienne (AESA) a proposé une nouvelle réglementation européenne. Les textes réglementaires en résultant, intitulés « Commission Delegated Regulation (EU) 2019/945 » et « Commission Implementing regulation (EU) 2019/947 », et concernant les opérations de drones en Europe seront progressivement applicables à partir du 1er juillet 2020.

 

L’encadrement est donc en cours pour les drones, prenant en compte les niveaux d’autonomie.

 

B) Les navires autonomes

Des problématiques similaires s’imposent aux navires autonomes. La particularité tient au fait que l’encadrement juridique des navires est caractérisé par sa dimension internationale avec la Convention  des Nations Unies sur le droit de la mer, dite « Convention de Montego Bay », signée par la France le 10 décembre 1982.

 

En matière maritime, les questions relatives à la responsabilité sont très spécifiques, notamment en ce qui concerne les cas de pollution marine, les droits et obligations des Etats côtiers, et l’obligation de porter secours à un navire en détresse.

 

Il semble que le droit commun reste applicable en la matière. Ainsi, en cas de pollution, le propriétaire sera responsable même s’il n’est pas l’exploitant du navire autonome.

 

En prenant un peu de hauteur face aux voitures autonomes, drones et navires, il convient de souligner que la doctrine met en avant un droit des robots qui aurait vocation à s’appliquer aux véhicules visés plus haut ; comme tous les autres objets manufacturés, ces robots seraient, par exemple, soumis à la responsabilité des produits défectueux (prévue aux articles 1245 et suivants du code civil).

 

Point plus important :  les réflexions doctrinales sont divisées entre les partisans et les opposants à une reconnaissance de personnalité juridique des robots. Or, la réponse à cette question de personnalité juridique des robots est essentielle pour déterminer l’imputabilité de la responsabilité en cas d’incident.

Ce débat passionnant a de longs jours devant lui !