LE DROIT DE L’ESPACE FACE AU DEFI CROISSANT DES DEBRIS SPATIAUX ET L’AVENEMENT DU 1ER NETTOYAGE ORBITAL DE L’HISTOIRE (« ClearSpace »)

Par Laurent Archambault, avocat associé, et Hugo Poquin, stagiaire chez Selene Avocats.

 

La société japonaise Sumitomo Forestry et l’université de Kyoto viennent d’annoncer un partenariat afin de concevoir un satellite en bois d’ici 2023, offrant ainsi un aspect plus écologique aux activités spatiales. Un autre avantage à ces possibles “Woodsat” serait que le bois est un matériau largement “transparent” aux ondes radio, ce qui signifie que les constructeurs pourraient maintenir la plupart des antennes de communication et de recherche à l’intérieur de leur cadre.

 

Au-delà du symbole, l’utilisation de satellites en bois devrait, selon les japonais, permettre de limiter la création de débris spatiaux.

 

Cette annonce, aussi curieuse qu’elle puisse paraître, constitue une occasion de s’intéresser aux enjeux créés par les débris spatiaux, et en particulier à la dimension juridique de ces enjeux et aux pistes qu’offre le droit en la matière.

 

Les débris spatiaux constituent un défi majeur pour les années à venir. Symbole de la contagion existante entre la catastrophe écologique sur terre et l’espace extra-atmosphérique, ces débris témoignent de la propension apparemment sans limite des humains à dégrader leur milieu.

 

Il existerait actuellement, selon les estimations disponibles, environ 500 000 débris mesurant entre 1 et 10 cm, et environ 21 000 débris de plus de 10 cm autour de notre planète. Même lorsqu’ils sont de petite taille, une collision peut entrainer de sérieux dommages dans la mesure où la vitesse relative des deux objets concernés est en moyenne de 10 km par seconde !

 

On blinde en partie les satellites contre les plus petits débris (quelques millimètres), mais on ne peut pas aller trop loin sinon les engins deviennent trop massifs.

 

Créés par les activités humaines, ces débris pourraient paradoxalement nous priver d’accès à l’espace extra-atmosphérique dans les années à venir en plus de dégrader l’environnement.

 

La notion de « débris spatiaux » désigne selon les «Lignes directrices relatives à la réduction des débris spatiaux » du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, « tous les objets, y compris les fragments ou éléments d’objets, produits par l’homme qui sont en orbite autour de la Terre ou qui rentrent dans l’atmosphère et qui ne sont pas opérationnels ».

 

Ces débris font naître des risques sérieux en matière de protection de l’environnement spatial et terrestre, de protection de la vie humaine, de réalisation des objectifs des missions spatiales ou encore d’interférence avec le spectre radioélectrique notamment.

 

Il existe par ailleurs des risques particulièrement alarmants concernant certains débris tels que les débris radioactifs notamment, malgré la mise en oeuvre de « Principes relatifs à l’utilisation de sources d’énergie nucléaires dans l’espace » adoptés en 1992 par les nations unies.

 

Le risque de création de débris existe à chaque étape de l’opération spatiale, puisque ces débris peuvent être créés lors du pré-lancement, lors du lancement, ou même lors de la vie en orbite des objets spatiaux.

 

Lors de cette dernière étape, les risques de création de débris spatiaux résultent notamment des collisions susceptibles de survenir entre débris, entre un débris et un objet opérationnel ou entre objets opérationnels. Les causes de ces collisions sont elles-mêmes diverses puisqu’elles peuvent résulter d’opérations normales, d’accidents, voire de comportements intentionnels de certains acteurs.

 

L’Arsenal juridique actuel pourrait permettre, dans une certaine mesure, de limiter l’impact des difficultés que font naître les débris spatiaux, ou au moins d’offrir des pistes de réflexion en la matière.

 

Dans un premier temps, il convient de rappeler que certains textes de Droit international « général » pourraient certainement être utiles au sujet des débris spatiaux, en particulier les textes relatifs aux enjeux environnementaux.

 

En Droit des activités spatiales plus spécifiquement, certains textes offrent un cadre qui pourrait certainement être utile à la recherche de solutions juridiques au problème des débris.

 

Le Traité de l’Espace de 1967 mentionne plusieurs principes qui pourraient servir de pistes de réflexion en matière d’encadrement juridique des débris spatiaux. D’autres textes peuvent être utiles également.

 

 

  • le principe de coopération, d’assistance mutuelle et de prise en compte des intérêts des autres Etats de l’article IX dudit Traité, le principe de développement d’activités pour le bien de tous les pays et de l’humanité entière de l’article I, ou encore le principe de non appropriation de l’article II sont autant de principes qui pourraient être mis à mal par l’explosion du nombre de débris spatiaux et qui mériteraient, ainsi, d’être envisagés comme posant les bases d’un cadre juridique en la matière.

 

  • l’article VII de l’Accord régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes, qui mentionne la nécessité pour les Etats de prendre des mesures pour éviter de perturber l’équilibre de l’environnement, et l’article IV de ce même accord prévoyant notamment que l’exploration lunaire doit être menée pour le bien de toute l’humanité, et avec égard pour les intérêts des générations présentes et futures. Ces deux articles offrent également des pistes de réflexion intéressantes en matière de débris spatiaux.

 

  • La convention sur la responsabilité pour les dommages causés par des objets spatiaux de 1972 semble également instructive, en ce qu’elle permet d’agir en responsabilité contre l’Etat de lancement de l’objet spatial ayant causé le dommage. Il se trouve, en effet, que les débris spatiaux sont des « objets spatiaux » au sens de cette convention et sont, à ce titre, susceptibles de permettre d’engager la responsabilité de l’Etat de lancement, mais cette convention souffre de limites car la responsabilité est fondée, dans l’espace extra-atmosphérique, sur la faute ( difficile à prouver ), et cette convention ne permet probablement pas de prendre en considération les dommages causés directement à l’environnement spatial lui même, indépendamment de tout dommage « direct ».

 

Il existe par ailleurs un texte portant spécifiquement sur cette question, et établissant des « Lignes directrices relatives à la réduction des débris spatiaux », publiées en 2007.

 

Ce texte établit une définition des débris spatiaux, rappelée au début de ces développements, puis mentionne 7 lignes directrices destinées à faire face aux difficultés que font naître ces débris.

 

Ces lignes directrices sont les suivantes :

  • limiter les débris produits durant les opérations normales ( concevoir les objets spatiaux pour ne pas créer de débris et si ce n’est pas réalisable, les minimiser)
  • limiter les risques de désintégration pendant les phases opérationnelles
  • limiter la probabilité de collision accidentelle en orbite
  • éviter les destructions intentionnelles et autres activités dommageables
  • limiter les risques de désintégration après les missions résultant d’énergie stockée
  • limiter la présence à long terme d’engins spatiaux et d’étages orbitaux de lanceurs en orbite basse après la fin de la mission
  • limiter les perturbations à long terme causées par des engins spatiaux et des étages orbitaux de lanceurs dans la région de l’orbite géosynchrone après la fin de la mission.

 

La principale faiblesse de ces lignes directrice tient à ce qu’elles ne sont pas contraignantes, ce qui limite leur impact sur les activités spatiales.

 

Par ailleurs, de nombreuses questions juridiques restent en suspens et mériteraient d’être abordées dans un texte. Ainsi, quid d’une illégalité complète de la génération de débris ? Ou encore d’une obligation ferme de prévenir ou de minimiser la génération de débris et les risques qui y sont associés ?

 

Il conviendrait également de créer un cadre relatif à l’échange de données entre acteurs spatiaux de manière à limiter le risque de collision, et plus généralement de créer des règles claires de « Space Trafic Management ».

 

Parallèlement à la nécessité de limiter la production de débris spatiaux, différents remèdes sont étudiés et envisagés par les acteurs spatiaux, tels que le retrait des débris par tractage, par l’usage de technologies sans contact basées sur l’utilisation de faisceaux d’ions, ou encore par propulsion permettant de désorbiter ou de réorbiter les objets spatiaux.

 

La multiplication des débris peut déjà réduire l’espérance de vie des satellites au point de faire monter en flèche leur coût opérationnel puisqu’il faudra les remplacer plus souvent…

 

Consciente de cet impact financier, l’ESA (« European Space Agency ») a d’ailleurs récemment commandé le premier enlèvement de débris au monde, en organisant une mission baptisée ClearSpace-1, dont le lancement est prévu pour 2025.

 

Plus précisément, l’ESA vient de signer un contrat de 86 millions d’euros avec la start-up suisse ClearSpace SA pour l’achat d’un service unique : le premier enlèvement de débris spatiaux en orbite lors de la mission ClearSpace-1. Cette mission s’inscrit dans le cadre du projet Adrios (Active Debris Removal/In-Orbit Servicing) du programme de Sécurité spatiale de l’ESA.

 

Malgré l’aspect encourageant d’une telle initiative, de nouvelles questions juridiques surgissent en matière d’enlèvement de débris spatiaux. Existe-t-il une obligation de retirer les débris ? Comment décider qu’un objet mérite d’être retiré ? A-t-on le droit de retirer les objets d’autres acteurs spatiaux ?

 

Les problématiques liées aux débris spatiaux semblent promettre une activité intense aux professionnels du secteur dans les années à venir, afin d’éviter que la situation dans l’espace ne se dégrade encore à l’image de la situation terrestre.